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LES CASTES
La division analytique de l’humanité (et non pas seulement de la société indienne) en quatre classes fonctionnelles hiérarchisées constitue un système professé par les brahmanes auteurs des Traités de la disposition naturelle des choses (Dharmasastra). Sa spécificité indienne ne porte que sur les applications prescrites dans les rapports sociaux et les lois, car l’existence dans les sociétés d’ensembles d’intellectuels, de politiques, de commerçants et d’ouvriers est universelle. La particularité indienne, dans ce système d’analyse de la matière sociale, est la force du principe de séparation et d’exclusivisme des classes fonctionnelles. Ce principe idéal a été appliqué souvent avec rigueur, soit sous l’influence d’autorités publiques adoptant les théories des brahmanes, soit par les membres eux-mêmes des ensembles intéressés, justifiant, par référence à ces mêmes théories, un particularisme de dignité sociale ou d’intérêt professionnel.
Les règles fondées sur le système théorique des classes (varna) n’étant pas respectées par toute la population et les classes se mêlant, ce système théorique est complété par l’hypothèse étiologique de l’origine des castes (jati) diverses à partir du mélange, réprouvé mais constaté, des classes. Là s’arrête le système établi, qui est, en ce qui concerne les jati, une théorie sociologique pouvant alimenter des prétentions éventuelles de rang, mais ne fixant ni la nature des groupes réels, ni leur hiérarchie, ni leurs coutumes, vraies ou idéales. Il est donc abusif de parler de «système des castes» dans la structure sociale de fait. Ce n’est qu’une théorie sociologique élaborée pour les classes et seulement amorcée pour les castes multiples, mais propageant un esprit de particularisme et de rivalité de groupes sociaux.
Le mot «caste» est portugais (casta). Il signifie essentiellement «race, espèce» et s’applique aux animaux comme aux hommes. Il a été employé par les Portugais pour désigner les hommes des divers groupes distincts dans la société indienne que les Portugais ont été les premiers à faire connaître assez largement. D’où l’emprunt de ce mot au portugais par les autres langues européennes, pour désigner les catégories composant la société indienne qui, elle-même, dans la plupart de ses langues, les appelait les unes varna, les autres jati. Dans l’usage européen courant, le mot «caste» traduit le plus souvent indifféremment varna et jati, bien que ces deux termes ne soient pas synonymes.
Les varna (mot masculin) sont au nombre de quatre seulement et constituent les grandes classes bien définies en lesquelles les théoriciens indiens ont divisé l’ensemble de la société. Le nombre des jati (mot féminin) est important, mais varie beaucoup avec les régions et avec les dénombrements indiens ou européens. Ni l’un ni l’autre des deux mots, dans les langues indiennes, ne s’emploie exclusivement pour désigner des groupes humains.
Varna signifie «classe» et aussi «couleur», mais essentiellement «classe» quand il s’agit de groupes de choses ou d’êtres vivants, car les noms des varna humains servent aussi à désigner des sortes de pierres précieuses ou des sortes d’éléphants, distinguées par les odeurs, la nourriture et non les couleurs. Cependant les varna humains ont des couleurs emblématiques.
Jati signifie «espèce» et s’applique aux espèces animales ou végétales aussi bien qu’aux divers groupes sociaux humains.
En dépit des différences fondamentales entre les varna (classes) et jati (espèces), comme ces dernières rentrent pour la plupart dans les quatre grandes classes, il arrive fréquemment, même dans les textes indiens, que les deux termes soient employés l’un pour l’autre, ce qui a favorisé leur traduction commune par «caste». Pour nous affranchir de cette confusion, nous traduirons varna par «classe», réservant le mot «caste» pour les jati. Des groupes humains se différenciant souvent les uns des autres à l’intérieur d’une même jati sont appelés communément «sous-castes», bien que les langues indiennes en général ne les désignent pas comme fractions de jati, mais emploient des termes tels que, en sanskrit, kula, «famille», qui s’entend alors en un sens large incluant des groupements par affinités autres que de sang (sectes, confréries, tribus). Au sud de l’Inde, en tamoul, on emploie, à côté des termes sanskrits, inam, «groupement», umpal et tinai, «espèce», kuti, «agglomération».
Les «classes» (varna)
Les quatre classes sont celles des brahmana, ksatriya, vaisya et sudra. Elles sont définies dans les textes dits Dharmasastra, «Traités de la disposition naturelle des choses», qui décrivent l’ordre du monde et les lois de la société et sont encore appelés Smrti, «Tradition». Mais leur conception est déjà attestée dans le plus ancien des textes indiens, le Rgveda (X, 90, 12), qui les fait correspondre aux diverses parties du corps de l’Homme cosmique et s’exprime ainsi : «Le brahmane fut sa bouche ; le royal (rajanya, équivalent de ksatriya) a été fait ses bras ; ce qui est ses cuisses, c’est le vaisya ; de ses pieds le sudra est né.»
Les Dharmasastra enseignent la même origine mythique des classes et le principal d’entre eux, celui de Manu, définit ainsi leurs activités (karman) (I, 88-91), les distinguant exclusivement d’après leurs rôles généraux dans la société : «L’Être suprême a conçu pour les brahmanes : l’enseignement, l’étude, l’accomplissement du sacrifice, la direction du sacrifice, la libéralité et l’acceptation (de la libéralité, acceptation qui rend fructueux en mérite le don du donateur) ; pour le ksatriya : la protection des créatures, la libéralité, l’oblation cultuelle, l’étude et le désintéressement des objets des sens ; pour le vaisya : la protection des bestiaux, la libéralité, l’oblation cultuelle, l’étude, le commerce, le prêt à intérêt et l’agriculture. Mais, pour le sudra, le Seigneur a désigné une seule activité : l’obéissance à ces classes, avec absence d’envie.
Les brahmanes sont les premiers, puisqu’ils sont nés de la bouche, partie du corps la plus pure (ou apte à l’œuvre rituelle, medhya). Les plus éminents parmi les brahmanes sont ceux qui sont savants, parmi les savants ceux qui ont une conscience accomplie, parmi ceux qui ont une conscience accomplie ceux qui agissent, parmi ceux qui agissent ceux qui connaissent le Brahman.
C’est donc le primat de la connaissance qui, à côté de son origine mythique, fonde effectivement la prééminence du brahmane. La fonction sacerdotale du brahmane vient en second lieu; elle dérive de sa science. Le prêtre védique appelé brahmane n’officie pas, mais surveille les cérémonies comme expert, intervient en cas de fautes. L’appartenance des divers autres prêtres à telle ou telle classe sociale n’est pas précisée dans les textes védiques, bien que probablement les principaux au moins aient appartenu à la classe brahmanique. De toute façon, la profession de prêtre n’est pas nécessairement l’occupation des brahmanes. Le chapelain royal, ou purohita, a été ordinairement un brahmane, mais il était possible qu’un ksatriya ou rajanya, de la classe guerrière, prenne les fonctions de purohita. Réciproquement l’Antiquité connut un pays dit Brahmanaka, qui appartenait à des brahmanes guerriers ; et Alexandre s’empara d’une ville de brahmanes guerriers au Panjab.
D’après le Mahabharata, l’art militaire (dhanurveda) a été enseigné par le brahmane Drona (car le brahmane est essentiellement le détenteur de la connaissance). À travers toute l’histoire, des brahmanes devinrent rois ou guerriers, à l’époque moderne chez les Marathes notamment ; de même dans les armées indiennes d’aujourd’hui. Dans la pratique de la religion hindoue jusqu’à nos jours, non seulement tous les brahmanes ne sont pas prêtres, mais encore tous les prêtres ne sont pas brahmanes. Les usages varient à cet égard. Ceux des brahmanes qui exercent la profession d’officiants de temples sont loin d’être considérés comme du rang le plus élevé dans leur classe. L’ascendance des familles brahmaniques, la lignée (gotra) à laquelle elles se rattachent, les professions intellectuelles auxquelles elles se consacrent et leur rigueur dans l’observance des règles de l’orthodoxie des Dharmasastra constituent leurs principaux éléments de prestige. La valeur morale a compté beaucoup : d’après une Upanisad, un garçon de père inconnu et de mère servante d’auberge est réputé brahmane à cause de sa sincérité.
 
Ksatriya
La première fonction des ksatriya est d’autorité et de protection. Il s’agit donc d’une classe militaire dirigeante, à laquelle appartiennent en principe les rois. Le pouvoir (ksatra) ou la royauté (rajya) est leur apanage naturel, quoique en fait des rois historiques aient été des brahmanes, voire des sudra. La libéralité est la seconde fonction du ksatriya, puis viennent les fonctions religieuses et l’étude pour lesquelles il est moins qualifié que le brahmane. Cependant de nombreux textes des Brahmana et des Upanisad évoquent des rois qui en remontrent à des brahmanes par leur science. La tradition offre des exemples de ksatriya devenus brahmanes : ce fut le cas de Janaka, roi de Videha, qui devint un brahmane par des entretiens avec le brahmane Yâjñavalkya ou celui du sage Visvamitra. Si légendaires que soient ces traditions, elles montrent que la société indienne a cru possible le passage d’une classe à l’autre dans certains cas, bien que ce soit normalement par la naissance qu’on appartienne à une classe ou à une autre. Les ksatriya ne sont pas seulement une classe de la société indienne, les peuples étrangers, tels que les Grecs ou les Chinois, connus pour leurs activités guerrières, sont éventuellement considérés comme ksatriya.
La littérature offre maintes traces de rivalités entre brahmanes et ksatriya dans le domaine de la spéculation philosophique (au point qu’on a soutenu, avec exagération, l’existence d’une philosophie ksatriya), dans le domaine des préséances et de la politique : d’après la légende, Parasurama, une incarnation de Visnu, aurait exterminé les ksatriya. De toute façon la classe des ksatriya apparaît comme très réduite dans les temps modernes. Quelques groupes Rajput, Marathes, Vanniyar (ces derniers du pays tamoul) prétendent s’y rattacher, malgré l’avis opposé (surtout pour les Vanniyar) des autres groupes.
 
Vaishya
Élevage, commerce, agriculture sont le fait des vaisya, ceux qui appartiennent au vis, c’est-à-dire au peuple de la contrée. Ils sont habilités, comme les ksatriya, à accomplir les rites d’oblation. Le prêt à intérêt, très répandu dans l’Inde, dépendait d’eux en principe. La protection des bestiaux est la première fonction des vaisya et s’étend principalement sur les vaches, moins en raison de leur caractère sacré, ainsi qu’on le croit communément, que comme l’animal domestique essentiel pour la société indienne (non seulement par le lait qu’elles fournissent, mais encore parce que les bœufs - mieux que les buffles et à défaut d’une race chevaline nombreuse - étaient les animaux indispensables de trait et de labour). La classe des vaisya, comme celle des ksatriya, est aujourd’hui très réduite en dépit du développement du commerce et de la banque, parce que l’usage n’est plus de compter comme vaisya ceux qui exercent ces professions, beaucoup étant notoirement des brahmanes ou des sudra. Certains groupes revendiquent toutefois l’appartenance à la classe des vaisya, que les autres les acceptent ou non comme tels.
Les trois premières classes ont droit à l’upanayana, imposition d’un cordon passant sur l’épaule gauche et au-dessus de la hanche droite. La cérémonie marque l’admission dans la classe et elle est considérée comme une seconde naissance. Les brahmanes, les ksatriya et les vaisya sont tous ensemble dits, de ce fait, «deux fois nés» (dvija), mais le terme désigne le plus souvent des brahmanes. Les cérémonies et les cordons diffèrent pour les trois classes. Le cordon s’appelle yajñopavîta «cordon sacrificiel». Le droit à son port oppose les trois premières classes, habilitées à accomplir des œuvres sacrificielles védiques, aux sudra, qui en sont exclus de par la doctrine des Dharmasastra.
 
Sudra
La quatrième classe a pour fonction le service des dvija. Il ne s’ensuit pas qu’elle soit entièrement esclave ou serve : elle comprend tous les métiers d’artisans et d’ouvriers qui sont exercés par des hommes libres. Il peut y avoir des sudra esclaves (dasa), tout comme les sudra peuvent avoir des esclaves. Le Dharmasastra de Manu affirme qu’un brahmane peut faire faire par un sudra une besogne d’esclave, le sudra ayant été créé pour cela, mais il énumère comme esclaves proprement dits le prisonnier de guerre, celui qui se fait esclave pour être nourri, celui qui est né d’esclaves dans la maison, celui qui est acheté, ou donné, ou reçu par héritage paternel, et celui qui est esclave par punition. D’autres textes donnent des listes plus longues. La classe des sudra, où entre la majorité de la population, comprend des groupes de niveaux sociaux fort divers selon leurs occupations et selon leurs usages plus ou moins conformes à ceux des classes supérieures, et surtout de la classe des brahmanes qu’on imite pour se hausser dans l’estime publique, cette estime qui, à défaut de hiérarchie fixée, assigne, de manière inconsistante d’ailleurs, les rangs de chacun. Il existe une catégorie supérieure de sudra, les sacchudra, «bons sudra», ceux dont les occupations servent les dvija et qui observent les mêmes coutumes et abstinences qu’eux, principalement celles d’alcool et de viande. Certains sudra (bhojyanna) sont considérés comme assez purs pour qu’on puisse consommer de la nourriture fournie par eux. Ce sont le cultivateur, l’ami de la famille, le prêtre, l’esclave, le barbier et celui qui s’offre en se présentant à bon droit comme digne de servir. Des sudra de ces catégories honorables, on dit souvent aujourd’hui qu’ils sont «castés», par opposition aux intouchables.
On a opposé encore anciennement des sudra niravasita, «exclus», et aniravasita, «non exclus». Ces derniers sont ceux dont les ustensiles de cuisine sont purifiables par la cendre. Les premiers comprennent tous les groupes considérés comme inférieurs ou indignes, voire les tribus étrangères à la société indienne majoritaire et qui vivent sur le sol indien, ou les peuples étrangers pour autant que leurs modes de vie choquent l’idéal brahmanique. Ils sont désignés, d’après leur habitat en dehors des agglomérations, comme gens des limites ou du dehors, ou, par référence à leurs mœurs, comme des «brutes» (candala). Des auteurs modernes les rejettent dans une cinquième classe, hors de celle des sudra.

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